Mùa

Dans la quasi obscurité, la présence d'une danseuse soumet les regards à une vibration d'une subtilité inouïe. Mùa - pièce fondatrice - fait effectuer au spectateur une expérience bouleversante. Dans Mùa, une danseuse et son musicien accompagnateur effectuent une très lente remontée depuis l'obscurité totale jusqu'au retour à la lumière, subtilement orchestrée par Yves Godin. Cette expérience est tout autant celle des spectateurs. écarquillés tout d'abord, les yeux sont en recherche, ils discernent à peine ce qu'ils voudraient tellement voir. Peu à peu, un contour fait rayonner une pellicule de corps à la façon d'une membrane vibratile. Corps et regards des spectateurs baignent dans une subtile mise en tension de l'espace - visuel et sonore - tout entier. Bouleversante, excitante - en même temps qu'apaisante, propice à la méditation - cette traversée sensible révèle comment le regard de tout un chacun relève d'une présence active. Celle-ci tient au fait de dessiner le monde, l'engendrer, le rêver, alors qu'on croyait seulement le capter. Nous ne voyons qu'en fonction de l'invisible. En révélant cette part de la danse, nécessairement dissimulée, insaisissable et mouvante, Emmanuelle Huynh signait en 1995 une pièce toujours considérée comme fondatrice, participant d'un renouvellement des enjeux, à reverser au patrimoine contemporain de la danse. Où la poésie travaille à rebours des évidences grossières.