Entretien avec Flora Diguet

autour de IAN de Pauline Picot

C.ABLAIN



Ce projet est issu de ta fascination pour le chanteur Ian Curtis, comment se traduit celle-ci ?
J’ai un portrait de Ian Curtis tatoué sur l’avant-bras gauche. C’est jusque gravé dans ma peau… Un jour, alors que je suis au théâtre, un voisin reconnait ce visage et me parle de Pauline Picot et de sa pièce Ian. La combinaison Ian Curtis, théâtre, jeune autrice  me donne l’occasion d’une rencontre puissante avec le texte.
Joy Division est mon groupe culte, adoré, adulé, jusque dans mon corps, dans mes tripes depuis longtemps et toujours.
Je le découvre avec les disquaires et mes potes de Rennes. En parallèle de ma formation théâtrale, je suis la scène musicale rennaise de près. Le film Control d’Anton Corbjin sur Ian Curtis, sorti en 2007, va préciser et augmenter ma fascination…

C’est la découverte musicale ou d’une identité écorchée, sauvage, révoltée, fragile qui te séduit voire te transcende au départ ?
En premier lieu c’est la découverte musicale. Après effectivement, l’identité, la personnalité du chanteur attisent ma curiosité. En savoir plus sur sa vie et sur le parcours fulgurant du groupe via le film Control et différents écrits participent à ma fascination.
Ian Curtis est mort en 1980, je suis née en 1985. Je n’ai jamais eu de prise avec son présent, ce pourquoi j’ai fait des recherches, enquêté, et me suis nourrie de plusieurs ouvrages de ses contemporains.
Quand j’ai commencé à écouter, internet existait donc j’ai pu immédiatement avoir accès au récit de cette légende.
Certains morceaux m’émeuvent de façon intense, viscérale, organique, inexplicable.

Ecoutes-tu toujours Joy Division aujourd’hui ?
Oui mais moins. Ce groupe m’accompagne dans la durée, à l’inverse d’autres artistes musicaux avec lesquels je fonctionne par phase, aussi je ne l’écoute pas en permanence.
Aujourd’hui, je suis plus sereine qu’avant, traversant moins de tristesse ou de mélancolie, j’ai ainsi moins besoin de cette musique qui pouvait accompagner fortement ces états d’âme. Maintenant il s’agit d’un choix que de l’écouter pleinement, d’un rapport plus entier.

En quoi la pièce de Pauline Picot répond à un désir scénique? 
Le texte m’a beaucoup touchée, aussi parce qu’il est écrit par une femme et m’a tout de suite donné envie de l’éprouver au plateau, sentant la possibilité de me l’approprier. Composé de seize tableaux non chronologiques -il ne s’agit pas d’une biographie- les paroles y sont multiples, alternant source documentée ou fiction fantasmée. C’est comme si l’autrice -je la cite- avait pressé un citron pour ne garder que quelques gouttes, l’essence de ses recherches. Dessinant ainsi le chanteur par touches et créant un parcours en creux pour le public. Les fans y liront différentes choses mais ce projet ne s’adresse pas qu’à eux, il va au-delà.  La langue est imagée, poétique mais plus concrète qu’il n’y parait, il y a également beaucoup de second degrés. Une forme assez inattendue en somme.  Toute une galerie de figures est représentée : ses idoles, David Bowie, The Sex Pistols, William Burroughs… Les membres du groupe, les femmes de sa vie… On parle à Ian, on parle de Ian mais on ne le voit pas et on ne cherche pas à le figurer.  Le sujet Ian Curtis devient presque un prétexte pour laisser la place à la musique, à la construction d’un mythe, aux mythologies musicales.

A quoi fais-tu référence quand tu parles de mythologies musicales? Tu as d’ailleurs recueilli les mythologies musicales d’angevines et d’angevins…
C’est l’histoire musicale d’une personne : sa relation intime à la musique, ce qu’elle évoque et provoque en elle. Telle une cartographie sur la place de la musique dans nos vies.
Recueillir des témoignages était une évidence. Avec Nathan Bernat et Jeanne François, acteur et actrice du projet, nous avons interviewé différentes personnes sans questionnaires préétablis mais avec des lignes directrices. Ces paroles seront valorisées dans le cadre d’une exposition sonore autour du spectacle.  Aujourd’hui, elles nourrissent notre travail. Elles seront peut-être intégrées au spectacle à travers les voix des interprètes ou diffusées…

Tu proposes un « concert-spectacle », que cherches-tu à provoquer?
J’ai un désir fort de réunir le théâtre et la musique, deux pans de ma vie que j’ai jusqu’ici dissociés. Cette création traite, de plus, de ce que peut provoquer la musique en nous. 
Depuis longtemps, et avec Thomas Jolly déjà, à l’école du TNB, partageant nos morceaux préférés jusqu’au plus inavouables, nous rêvions de faire des « concerts » au théâtre, d’un rapport moins « sage » avec les publics.  Je souhaite qu’ils ressentent la même implication, la même liberté, les mêmes frémissements avec Ian qu’en concerts. D’où cette idée de scénographie tri-frontale, immersive pour le public et activante pour les interprètes. Je crois beaucoup au son comme vecteur d’émotion.

Actrice, Ian est ta première mise en scène, qu’est-ce qu’on se dit avant une première mise en scène ?
Que j’ai beaucoup de chance ! J’ai une équipe idéale, un Centre Dramatique National qui me produit aux côtés de Groupe Odyssées, notre compagnie. Je suis très excitée et  j’ai hâte !

Peux-tu nous parler de l’équipe qui t’entoure pour ce spectacle ?
C’est une équipe au sein de laquelle chacun·e connaît et a travaillé avec, au moins deux personnes, c’était fondamental pour moi. J’ai une confiance artistique et amicale très forte dans cette équipe, ce qui me porte, et un désir profond de travailler avec chacun·e. Par chance, tout le monde a accepté ce projet avec ferveur, bien avant d’avoir les moindres financements et échéances.

Quelle est la dernière musique que tu as écoutée avant notre entretien ?
Ode to Billie Joe de Bobbie Gentry.

Propos recueillis par Jenny Dodge - juin 2021.

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