Retours. Ça commence très sérieusement : le salon d’un couple de quadras, en deuil de leur fils, un adolescent disparu six mois plus tôt dans une avalanche. Jusque là on est en Norvège, comme on l’imaginait : temps bas, paysages blancs, méandres de l’âme, répliques elliptiques, chiens errants dans une neige molle… Mais se produit l’inconcevable : on sonne à la porte... et le fils revient, et surtout cette porte ne va cesser de s’ouvrir… Le style de Fredrik Brattberg est brillant et imprévisible. Avant d’écrire pour le théâtre, l’auteur est compositeur et grand interprète classique – notamment – de Beethoven. Il maîtrise l’art de la fugue, une forme de composition musicale dont le thème passant successivement dans différentes tonalités, semble sans cesse fuir. On ne sait si on assiste à plusieurs possibilités d’une même scène (le retour de l’enfant cru mort) et/ou à une suite de scènes successives (où un enfant sans cesse revient d’une mort supposée).
Les situations semblent d’abord quotidiennes puis glissent pour laisser paraître un fond très étrange, parfois surréaliste, d’un Buñuel trivial et farceur, décidé à nous faire rire beaucoup, souvent jaune ou rouge. L’auteur moud l’ordinaire, l’évidence de cette famille, pour y faire suer ce qui la ronge de menace, d’inquiétude, d’hypocrisie consciente ou inavouée et fait monter des couleurs et des vérités que nous ne leur connaissions pas. À quoi nous sert l’amour des enfants ? Qu’est-ce qui s’y joue ? Qu’est-ce qu’on y joue ?
Le directeur du Quai CDN fait le choix de monter les deux pièces ensemble comme pour mieux en révéler les différents fragments, les multiples faces, d’un même problème : l’amour et l’enfantement. Le trio explosif sera composé de Jean-Charles Clichet (puissant complice de Frédéric Bélier-Garcia tant chez Feydeau que chez Shakespeare), Camille Chamoux (figure montante tant à la scène qu’à l’écran, créatrice et interprète de Née sous Giscard et actrice de la série J’ai 2 amours) et Dimitri Doré (révélation époustouflante de la saison passée, découvert dans la création de Jonathan Capdevielle, À nous deux maintenant).
Chez Fredrik Brattberg, qui a obtenu pour Retours le prix Ibsen, la plus prestigieuse distinction théâtrale en Norvège, tragédie et comédie avancent de concert, s’assimilent. Une fusion étonnante qui trouve un écho lumineux sur la scène de Frédéric Bélier-Garcia qui aime à mixer les genres, bousculer les codes pour une création furieusement jubilatoire.